Gourmandise - Partie I
Un matin de printemps, dans une petite ferme au confort douillet, la bergerie s’était tue : Pas un bruissement, pas un sifflement, pas même un chuchotement… Tous les yeux ronds des brebis et de leurs agneaux s’étaient fixés sur Violaine, la chèvre. Elle venait de se coucher, le souffle court, elle n’arrêtait pas de se regarder le flanc…L’heureux évènement qu’elle attendait allait enfin pointer le bout de son nez.
Cela faisait des jours que toute la ferme s’impatientait…Toutes les naissances avaient eu lieu, la marmaille de poussins se chamaillaient des vers de terre, les cannetons défilaient avec une rigueur militaire dans la cour, les lapereaux évadés se faisaient chasser du jardin à coup de becs d’oie, le veau dormait paisiblement sur un lit de paille fraîche, les agneaux chahuteurs s’affrontaient front contre front entre deux soupirs de leurs mères. Seule Violaine, la chèvre se traînait, le ventre rebondi…
Ce matin, les coups de pieds dans son ventre s’étaient accentués, l’obligeant à se coucher…Elle ne comprenait pas bien tout ce qui lui arrivait, elle avait mal, ça ne cessait de gigoter à l’intérieur, quelque chose lui tambourinait les flancs…Elle poussa donc très fort jusqu’à ce qu’une petite frimousse encore toute fripée s’extirpe de son ventre. Violaine regarda et découvrit l’auteur de cette douloureuse attente : Toute mouillée, toute frêle, les yeux encore clos, venait de naître une petite biquette. Violaine la lécha méticuleusement tandis que se répandait la grande nouvelle d’abord dans un murmure puis dans un cri victorieux : « Le bébé de Violaine est né… » Et dans une salve contagieuse d’émerveillement, tous lui demandèrent :
Violaine regarda sa progéniture avec tendresse…Sa petite venait de s’endormir après avoir goulûment téter sa maman…Enfin un peu de calme et de repos après le tumulte de la mise bas.
- Salomé…oui elle s’appellera Salomé répondit Violaine, sereinement.
Violaine éleva Salomé parmi les moutons…La petite chèvre ne tarda pas à révéler un caractère de chipie… Pugnace et curieuse, elle gambadait partout, sautait par-dessus les brebis fatiguées, narguait les agneaux en les titillant de ses cornes naissantes, en les poursuivant en faisant des cabrioles, en se moquant de leur laine touffue…
Ses facéties finirent par lasser ses cousins de prés, ils ne venaient plus la chercher pour jouer. Ils en avaient assez de supporter ses débordements d’énergie.
Il fallait s'échapper de là: Elle fit donc le tour de la prairie, inspecta la clôture avec minutie…Mais elle ne vit pas même un petit entrebaillement entre les fils pour s’y glisser…Il ne lui restait qu’une chose à faire…
Bien que le ventre lourd, elle était libre. L’aventure commençait.